L'entretien avec Billy Wapotro est un témoignage essentiel qui s'inscrit dans une réflexion plus profonde sur la culture kanak, la communication et la construction de l'identité en Nouvelle-Calédonie.

1. Le contexte historique et philosophique

Billy Wapoto replace la création de Radio Djiido dans le contexte des années 1970 et 1980. Il explique que la radio n'est pas née d'une impulsion spontanée, mais d'une nécessité stratégique et philosophique.

"Billie WAPOTRO nous livre ici un témoignage authentique sur l'évolution de Radio Djiido, la voix des Kanak."

Le "point zéro" colonial : Il dénonce l'idée coloniale selon laquelle le peuple colonisé serait un "point zéro", sans culture, ni civilisation. Pour lui, chaque peuple a un savoir et une histoire.

Le besoin de parler de soi : La presse locale de l'époque, en déformant les propos des leaders kanaks, a rendu indispensable la création d'un média qui puisse relayer l'information de manière "légitime et précise". L'objectif est de permettre aux Kanaks de parler d'eux-mêmes, de leur propre point de vue.

L'oralité et la radio : Wapotro établit un lien direct entre la culture de l'oralité kanak et l'outil radiophonique. La radio est perçue comme un simple "véhicule" de la voix, pas comme le créateur du savoir. Le savoir est dans l'humain, l'oralité est le moyen de le transmettre. La radio est une adaptation naturelle de cette tradition orale aux technologies modernes.

2. Une démarche "instituante" et solidaire

L'invité insiste sur le fait que la création de Djiido fut une démarche "instituante", c'est-à-dire qui a fait exister quelque chose qui n'existait pas encore. Pour y parvenir, le mouvement indépendantiste s'est appuyé sur un réseau de solidarité international.

Le rôle de l'Église évangélique : L'Église évangélique en Nouvelle-Calédonie a joué un rôle crucial. Après ses déclarations de Gouaro (1975) et ses synodes, elle a soutenu l'idée de la création d'une radio. Ses liens avec le Conseil Œcuménique des Églises et la CEVA (Communauté Évangélique d’Action Apostolique) ont permis de mobiliser des soutiens financiers et matériels en Europe (Suisse, Italie, Allemagne).

Le principe du "fleuve" : Wapotro utilise une métaphore puissante pour décrire cette collaboration : "des petites rivières qui se rencontrent et qui font un fleuve". Chaque partenaire (les étudiants en Métropole, les militants de Bwenando, les églises internationales) a apporté sa contribution pour donner corps au projet.

3. Les défis de la communication et de la traduction

Un aspect marquant de l'entretien est la réflexion sur la difficulté de la communication interculturelle.

La "trahison" de la traduction : Wapotro met en garde contre la traduction littérale des concepts kanaks vers le français, qui trahit la pensée. Il prend l'exemple de "Tshinéweké", qui signifie "panier d'objets" et non simplement "parole". Il explique que chaque mot kanak est un concept philosophique riche, lié à l'humilité, à l'existence et à la relation à l'autre.

L'humanité de l'humain : La civilisation kanak, selon lui, est une civilisation de la dignité humaine, du "Jokamo", qui est un appel à être humain. C'est l'essence même de la lutte, le refus de l'esprit colonial qui "met l'humanité en difficulté".

4. Les enjeux de la société calédonienne

L'échange se termine sur les défis actuels de la Nouvelle-Calédonie, qui sont, pour Wapoto, la prolongation de la lutte historique.

Le "Nous" : Il insiste sur la nécessité de construire un "nous" collectif, "le nous ensemble", et non un "nous sans vous". Il rappelle que le peuple kanak, par le biais des coutumiers en 1981, a cherché à inclure les minorités dans son projet de société. Il met en garde contre la tentation de faire un "nous" unilatéral, qui ne peut mener qu'à l'échec.

Le défi pour la jeunesse : Le message final à la jeune génération est clair : elle doit se poser la question de son propre défi, de son propre temps, comme la génération précédente l'a fait pour la communication. Le défi actuel, posé par le contexte politique, est celui de la création d'une société commune, d'une "conjugaison plurielle de l'humanité".

En conclusion, Billy Wapotro livre une analyse riche et poétique du rôle de Radio Djiido, la positionnant non pas comme un simple outil médiatique, mais comme un pilier de la lutte pour l'affirmation culturelle, l'unité et la dignité humaine en Nouvelle-Calédonie.